mercredi 4 mai 2011

Des biblio-autographomanes ou de la biblio-autographophilie : Eugène Renduel, éditeur des romantiques pris pour exemple.



A peine remis d'un grand moment biblio-œnologique, me voici tout juste rendu vers vous pour vous mettre entre les mains, ou presque, une bien heureuse découverte.

"Quel est le bibliophile qui n'ait été mordu plus ou moins profondément par la passion des autographes ! - S'il en existait un seul, je le renierais, car il témoignerait d'une incuriosité littéraire et physiologique tellement méprisable, que l'amour des livres ne serait plus chez lui qu'un pauvre paradoxe de vanité baguenaudière et sotte, une superficielle manie d'être neutre, une métriopathie indigne de l'analyse des psychologues. - L'autographe c'est le complément du livre, c'est parfois sa paraphrase et presque toujours la pierre de touche de l'esprit et du caractère de l'écrivain ; c'est le contrôle du passé, c'est la lumière de l'histoire, c'est l'expression la plus spirituellement vivante qui reste des choses mortes. L'ouvrage imprimé expose l'auteur en représentation, il le pare, il le drape, il le farde, il le grandit derrière les feux de la rampe ; il nous montre l'homme paradant avec l'orgueil et les hypocrisies sociales ; il ne nous livre de lui que ce qu'il veut bien voontiers montrer de ses coquetteries morales et de ses sensations maniérées ; mais le document autographe est plus révélateur : il apporte avec soi l'éclat et la crudité du jour réel ; il divulgue les sentiments jaillissant de l'émotion subite, les abandons intimes, les pathologies intellectuelles ; il se présente palpitant encore dans les soubresauts de la plume, dans la forme des lettres, dans la construction et la ponctuation de la phrase, qui trahissent parfois l'enthousiasme, le trouble, la nervosité ou la passion de l'épistolier." C'est ainsi que notre ami Octave Uzanne commençait son chapitre d'ouverture de la revue Le Livre, le 6 avril 1888 (neuvième année de la revue). Suivent 4 pages imprimées sur 2 colonnes. Octave Uzanne y fait l'historique des collectionneurs d'autographes depuis l'antiquité jusqu'à son époque, ou la petite histoire de cette biblio-autographomanie comme il l'appelle. Très bon texte dans lequel on apprend tout un tas de choses, notamment quelques informations utiles sur la bibliographie des ouvrages indispensables à la bibliothèque d'un amateur d'autographes. A son époque c'est évidemment le très imposant catalogue des Lettres autographes composant la Collection de M. Alfred Bovet, qui, comme il le dit, fait office de bréviaire pour le biblio-autographomane.

Octave Uzanne de conclure son excellent billet par ces mots : "Une lettre de Hugo se vendra toujours aussi chère qu'une épître de Bonaparte et plus qu'un décret autographe de Louis-Philippe, - et c'est justice."

Voilà, s'il en était besoin, de quoi justifier mon adoration pour le Grand Octave ! Je n'aurais mieux pu exprimer moi-même cette passion de l'autographe qui "s'est insinuée lentement (...) par une infiltration constante et longtemps inaperçue." (Uzanne).

Je l'avoue sans détour, plus les années passent en Bibliopolis et plus je deviens biblio-autographomane ou biblio-autographophile, détermination au choix selon mes humeurs du moment. Je l'ai d'ailleurs déjà confessé ici à qui voulait m'entendre. Je recherche les lettres de nos amis les bibliophiles, bibliomanes, éditeurs, imprimeurs, relieurs, libraires, illustrateurs, etc., bref, les acteurs du "livre" du XIXe siècle et avant. Et la quête semble sans fin... et pourtant moins simple de prime abord que la collecte des autographes de Napoléon Ier, à coups de millions. Car la quête des autographes, tout comme celle des livres anciens et des livres rares, permet à peu près tout, depuis la petite lettre sympathique du chansonnier Pierre-Jean Béranger à 30 ou 50 euros et la lettre de Madame de Sévigné cotée à plusieurs milliers voire dizaines de milliers d'euros. Encore une fois, chacun choisira son camp, bien aimablement, en douceur, en fonction de ses goûts et bien évidemment, de sa bourse. La cote des autographes est sans doute quelque chose de plus compliqué à appréhender encore que la cote des livres rares. Quel prix donner à l'unique ? à quelques mots griffonnés sur le papier jauni ? le prix de la célébrité ? l'intérêt historique ou littéraire de tel ou tel document devant être apprécié au mieux, mais à mon avis sans aucune règle absolue. Le prix de l'émotion avant l'émotion du prix en somme ...

Mais passons à du concret. La chance, le hasard, une bonne dose de persévérance, un petit peu d'argent (une centaine d'euros - soit à peine quelques paquets de cigarettes comme diraient de mes amis ... ), et voilà que se retrouve dans ma collection une pièce assurément rare et assurément plaisirable à votre serviteur.

Il s'agit du contrat "fait double" (copie autographe) entre Eugène Renduel (1), libraire-éditeur et le littérateur Henri Martin (2), auteur d'un livre intitulé "Minuit & midi". Je vous laisse lire le document écrit de la main même de Renduel et signé de son nom et de celui de M. Henri Martin.


« Entre nous soussignés, M. Henri Martin demeurant à Paris, rue d’enfer n°66. & M. Eugène Renduel, libraire, demeurant à Paris, rue des grands augustins n°22 a été convenu ce qui suit : M. Martin vend & cède à M. Renduel un ouvrage ayant pour titre Minuit & midi, formant un volume in 8° de vingt cinq feuilles, tiré à 800 exemplaires et mains de passes. Moyennant la somme de quatre cents francs, payable, cent francs huit jours après la mise en vente, et les trois cents francs de mois en mois à partir des trois mois de la dite mise en vente. Dans le cas d’une seconde édition M. Martin la vend & cède dès à présent à M. Renduel au prix de cinquante centimes l’exemplaire, quelque soit le nombre du tirage. M. Martin aura droit à quinze exemplaires du dit ouvrage. Fait double à Paris le quatorze décembre 1831. Signé Renduel. Approuvé l’écriture, signé H. Martin. »


Comme vous pouvez le voir, ce document est intéressant à plus d'un titre. On y apprend le chiffre du tirage de l'ouvrage en question. Le prix donné à son auteur. Les termes de l'accord.

Le livre de référence sur Eugène Renduel est : Le Romantisme et l'éditeur Renduel : souvenirs et documents sur les écrivains de l'école romantique avec lettres inédites adressées par eux à Renduel, ouvrage orné de cinquante illustrations, portraits, vignettes, caricatures, autographes, etc. par Adolphe Jullien. Paris, Librairie Charpentier et Fasquelle, 1897. 281 p. : ill., couv. ill. ; 19 cm. Il a été tiré de cet ouvrage 30 exemplaires sur papier de Chine numérotés pour M. L. Conquet, libraire-éditeur. (Photo de la couverture ci-dessous).


Voilà, c'est ma première lettre d'Eugène Renduel ! J'espère qu'il y en aura d'autres...

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

(1) Eugène Renduel, éditeur français né le 18 novembre 1798 à Lormes (Nièvre) et mort le 19 octobre 1874 à Beuvron (Nièvre). Après avoir débuté comme clerc chez un avoué de Clamecy, il s'installa à Paris en 1819. D'abord employé chez un libraire, il ouvrit sa propre librairie en 1828, au 22 rue des Grands-Augustins, et devint rapidement l'éditeur attitré des écrivains romantiques. Au cours des années 1830, il prit part à toutes les réunions de la jeune école et fréquenta les célébrités, encore débutantes pour la plupart, du monde littéraire de l'époque. Entre 1831 et 1838, il publia les œuvres de Hugo, Nodier, Eugène Sue, Sainte-Beuve, Musset, Gautier, Lamennais, Pétrus Borel, etc... En revanche, il finit par abandonner le Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand sept ans après avoir passé traité avec son auteur. Il savait s'entourer des meilleurs illustrateurs de l'époque, Célestin Nanteuil, Louis Boulanger, Tony Johannot, qui lui fournissaient des gravures. En 1838, il acheta le château de Beuvron (Nièvre) et s'y retira deux ans plus tard, renonçant à toute activité éditoriale. (NDLR : je pêche à la mouche non loin de Lormes... sur les pas de l'ami Renduel ...) Pour en savoir plus sur Eugène Renduel je vous invite à lire ICI.

(2) Henri Martin est né à Saint-Quentin le 20 février 1810 et mort à Passy le 14 décembre 1883, était un historien, essayiste, romancier et homme politique français. Il commença par écrire quelques romans, mais par la suite se consacra à étudier l'histoire de la France et écrivit une importante Histoire de France en 19 volumes qu'il conduisit jusqu'en 1789, et pour laquelle il reçut de l'Institut en 1869 un prix de 20 000 francs. Ayant étudié pour être notaire, il exerça cette profession pendant un certain temps, mais le succès de son roman historique, Wolfthurm (1830), l'amena à s'appliquer à la recherche historique. S'étant associé avec Paul Lacroix (le « Bibliophile Jacob »), il imagina avec lui une histoire de France, composée d'extraits des principaux chroniqueurs et historiens, et destinée à combler les vides pour les périodes manquantes. Le premier volume, paru en 1833, encouragea l'auteur à voir que ce devait être son œuvre, et le résultat fut son Histoire de France en quinze volumes (1833-1836). Ce magnum opus, par la suite revu et augmenté (4e éd., 16 vol. plus un index, 1861-1865), valut à l'auteur en 1856 le Premier Prix de l'Académie, et en 1869 le grand prix bisannuel de 20 000 francs. En 1867 fut publiée une version abrégée en sept volumes destinée à un plus large public. Avec sa suite, l'Histoire de France depuis 1789 jusqu'à nos jours (8 vol., 1878-1883), elle donnait de la France un historique complet, et remplaçait l'Histoire des Français de Sismondi. Ce travail souffre de quelques défauts : les descriptions des Gaules de l'auteur se fondent davantage sur la légende que sur l'histoire et, sous ce rapport, il subissait trop l'influence de Jean Reynaud et de sa philosophie cosmogonique. Il n'en a pas moins donné une grande impulsion aux études celtiques et anthropologiques. Sa connaissance du Moyen Âge souffre de lacunes, et ses critiques ne sont pas pertinentes. Républicain libre-penseur, il laisse souvent ses préjugés fausser son jugement sur la politique et l'histoire religieuse de l'Ancien Régime. Il a l'idée de remplacer les phases principales de l'histoire de France (notamment les dynasties) par des héros accompagnés de leurs mythes : Vercingétorix, Jeanne d'Arc, etc. Les six derniers volumes, consacrés aux XVIIe et XVIIIe siècles, sont supérieurs aux précédents. Parmi ses œuvres moins importantes on cite : De la France, de son génie et de ses destinées (1847), Daniel Manin (1860), La Russie et l'Europe (1866), Études d'archéologie celtique (1872), Les Napoléon et les frontières de la France (1874). En 1848, Carnot, ministre temporaire de l'Instruction publique, chargea Henri Martin d'enseigner l'histoire moderne à la Sorbonne. Compte tenu des événements de l'époque, il ne remplit cette fonction que pendant six mois. Rédacteur en chef au Siècle, Martin fut également maire du XVIe arrondissement de Paris en 1870 puis de 1880 à 1883, et siégea à la Chambre des députés comme député de Paris en 1871. Il fut élu membre de l'Académie des sciences morales et politiques en 1871, et de l'Académie française au 38e fauteuil le 13 juin 1878. Sénateur de l'Aisne en 1876, il ne laissa que peu de souvenirs comme homme politique. Il soutint néanmoins le projet de loi voté par la Chambre pour ériger le 14 juillet en fête nationale et prononça devant le Sénat un discours1 en ce sens le 29 juin 1880. Il contribua à la fondation de la Ligue des patriotes, dont il fut le premier président. Il mourut à Paris le 14 décembre 1883. Une avenue parisienne du XVIe arrondissement porte son nom.

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...