vendredi 27 mars 2015

Le rêve du jaguar - Un achat hasardeux des Frères Curmer, par Thierry Couture.



Certains d’entre vous n’ont peut-être pas oublié les billets que j’ai naguère consacrés sur ce blog à l’éditeur Léon Curmer (1801-1870).

Le hasard me rend acquéreur d’un acte sous seing privé pour le moins surprenant (*). À l’automne 1830, Alexandre Curmer (1805-1855) et son frère aîné Léon acquièrent un vaste terrain arboricole situé… au Mexique, dans l’isthme de Tehuantepec, c’est-à-dire à la limite géographique des Amériques centrale et du Nord

Oui, vous avez bien lu : au Mexique !

Je m’interroge... Si les frères Curmer voulaient investir dans un sol fructifère qui leur procurât quelque gain, les possibilités ne manquaient pas. Les abords immédiats de la capitale, non bâtis en ce premier tiers du XIXe siècle, suffisaient à leurs besoins. À défaut, l’Île-de-France toute proche, encore agricole, offrait maints champs ou jardins. Alors pourquoi avoir cherché au-delà de l’Atlantique ?

Un été très chaud

Plongeons-nous dans l’ambiance de l’époque. Le roi Charles X a perdu sa couronne voici presque trois mois. Par cette étouffante fin juillet 1830, en signant les Ordonnances de Saint-Cloud qui suspendent la liberté de la presse, il a précipité sa chute. Le peuple de Paris s’est insurgé durant les Trois Glorieuses et le vieux monarque a dû s’enfuir piteusement. La Restauration a vécu, les Bourbons ne régneront plus jamais sur la France. Mais dès le 30 juillet, la bourgeoisie parisienne récupère le mouvement. Damant le pion aux Républicains désorganisés, elle institue une monarchie constitutionnelle inspirée du modèle britannique. Une charte est promulguée, qui efface les outrances de celle octroyée en 1814 - non sans condescendance - par l’opiniâtre mais avisé Louis XVIII. Le duc d’Orléans, cousin du roi, est nommé lieutenant-général du royaume, ce qui garantit la cohésion nationale. Le 9 août, il est désigné roi des Français sous le nom de Louis-Philippe I er. Il restera 17 ans sur le trône avant d’en être chassé, à son tour, par une autre révolution. En résumé, on a évité le pire mais on a eu très chaud - dans tous les sens du terme ! Les frères Curmer ont dû suivre ces événements avec angoisse… Les souvenirs de la sanglante Convention, des errements du Directoire, des grandioses illusions perdues de l’Empire hantent toujours les mémoires. Les fantômes du passé ne demandent qu’à ressurgir. Que réserve l’avenir ? En abolissant l’ordre établi, une nouvelle République ne menacerait-elle pas bientôt les personnes et les biens ?

Ces incertitudes ont-elles incité les Curmer à aller voir ailleurs - et même très loin… - si l’herbe est plus verte ? Pourtant, le Mexique connaît lui aussi des troubles. En mars 1829, la bataille de Tampico a brisé l’ultime espoir de reconquête des Espagnols. Le pays vivra bien d’autres bouleversements.


Un achat hasardeux

Que dit l’acte ? Les frères Curmer traitent avec un propriétaire de Seine-et-Marne demeurant dans la petite commune de Larchant mais l’accord est signé au Havre. Or on se souvient que leurs parents avaient tous deux des attaches normandes, leur père par son géniteur, leur mère par sa naissance. De plus, leur frère cadet, Adolphe, est né en 1809 à Boulogne-sur-Mer. Le lieu de signature tient-il du hasard ?

Les acheteurs s’obligent à acquérir un terrain de 1 200 arpents - mesure de Paris, équivalent de quelque 41 000 ares, soit un peu plus de 4 km2. Il s’agit donc d’une vaste surface - celle du 7e arrondissement de Paris, par exemple.

La vente est conclue pour 60 000 francs. Sachant qu’un franc de 1830 vaut environ 2,20 euros de 2006, c’est l’équivalent de quelque 132 000 euros que les frères Curmer s’engagent à débourser - le prix, aujourd’hui, d’un studio parisien d’une quinzaine de m2 ou d’un trois-pièces à Dijon. L’investissement n’a donc rien d’anodin.

Sur cette somme de 60 000  francs, 3 000 (soit 6 600 euros) sont payables sous trente jours en effets de commerce (trois billets à ordre de 1 000 francs). Le solde de 57 000 francs (soit 125 400 euros) est exigible dans les quatre ans, à  intérêt de 5 %  par an.

Deux clauses encadrent cet accord.

L’une protège les acheteurs. Elle prévoit qu’en cas d’échec d’une expédition maritime organisée par le vendeur, la transaction sera annulée et les acquéreurs remboursés de leur mise dans le délai d’un an. Le nom du navire est précisé - La Glaneuse - mais pas sa destination. S’agit-il du Mexique ? Quelle est la finalité de cette course sur les mers ? En quoi influe-t-elle sur la cession ? L’acte n’en souffle mot.

L’autre clause ménage les intérêts des deux parties. Elle stipule que si, malgré eux, les frères Curmer ne peuvent tirer du terrain un entier profit durant la première année, le vendeur conservera les 3 000 francs à titre d’indemnité, sans pouvoir rien exiger d’autre. Ce dernier n’est donc pas certain de la nature du sol qu’il possède. Est-ce pour cette raison qu’il cherche à s’en défaire ? Quant aux deux frères, ils assument le risque de perdre l’équivalent de presque 7 000 euros - preuve de leur aisance.


Isthme de Tehuantepec (Mexique)

Un songe exotique ?

De tout cela, que penser ?

Les frères Curmer engagent une forte somme dans cette affaire hasardeuse. Ils acceptent d’emblée d’y laisser des plumes. La faillite de leur défunt père, au printemps 1806, puis sa mort prématurée en exil quelques années plus tard, ne leur a donc pas servi de leçon ? Leur esprit d’entreprise semble l’avoir emporté sur la raison. Léon en pâtira puisqu’il fera lui-même faillite en 1845.

Pourquoi avoir acquis ces 400 hectares perdus au bout du monde ? Par crainte qu’en France, une nouvelle révolution amène au pouvoir des Républicains qui aboliraient la propriété privée ? Et pour quelles récoltes ? Le Mexique produit des tomates, des courgettes, des melons, des pastèques, des papayes… L’acheminement de ces biens jusqu’en France eût-il été rentable ? À moins qu’on ait envisagé de les vendre sur place…

Un flot d’autres questions surgit. La vente fut-elle réellement conclue ? Des circonstances imprévues la rendirent-elles caduque ? Le navire La Glaneuse parvint-il à bon port ? J’ai l’idée de taper à tout hasard, sur le moteur de recherche d’Internet, navire+glaneuse. Miracle ! Je tombe sur les Annales maritimes et coloniales de 1830 qui m’apprennent que « le navire La Glaneuse, (parti) du Havre avec soixante-dix joyeux émigrans qui allaient coloniser une partie du pays des Mosquitos, est arrivé à Gracias-à-Dios le 18 février ». Ce débarquement a donc eu lieu sept mois plus tôt, et au Honduras. Mais je n’en sais pas davantage sur l’expédition de l’automne suivant.

Je m’interroge de nouveau. Qui est ce Pierre Joseph Villers, le vendeur ? Je retourne sur Internet. Par chance, les Archives départementales de Seine-et-Marne ont mis en ligne leurs registres d’état civil. J’examine les tables décennales de la commune de Larchant, balaie tout le XIXe siècle : rien. Ni naissance, ni mariage, ni décès au nom de Villers.

Je m’interroge encore. Le terrain apporta-t-il le profit escompté ? Les frères Curmer le conservèrent-ils ? À qui appartient-il aujourd’hui ? Et là bien sûr, je n’ai pas de réponse.

Tout de même… qu’allaient-ils faire dans cette galère ?

Pour finir, je précise qu’en langage autochtone, Tehuantepec signifie La colline du jaguar. Cela me rappelle un beau poème parnassien qu’on apprenait jadis en classe, avant que mai 1968 eût tout emporté : Le rêve du jaguar.

En pariant ainsi sur l’avenir, les frères Curmer ne furent-ils pas bernés ? Firent-ils un beau songe exotique au réveil brutal, voire cruel ? Je cède la plume au poète injustement oublié qu’est Leconte de Lisle :

En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.




Thierry COUTURE

lundi 23 mars 2015

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PS : tous les exemplaires seront nominatifs et numérotés à la plume et paraphés par l'éditeur. Une dédicace pourra être apposée sur simple demande.

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