samedi 30 janvier 2016

Albert Robida dans ses oeuvres d'illustrateur d'anticipations ! Enigme iconographique.


Le principe est assez simple.

Trouvez d'où provient cette illustration d'Albert Robida (1848-1926)  !

Bon weekend !
Bertrand, Bibliomane moderne

mardi 26 janvier 2016

Zoom sur une reliure d'art signée Zaehnsdorf (1886). THE FRENCHWOMAN OF THE CENTURY by Octave Uzanne London, John C. Nimmo, 1886 300 copies for England.

Joseph Zaehnsdorf (1816-1886)

Joseph William Zaehnsdorf (1853-1930)












Cette reliure recouvre l'édition de


by Octave Uzanne

London, John C. Nimmo, 1886

300 copies for England



Découvrir en version numérique l'ouvrage de 

Joseph William Zaehnsdorf


London, G. Bell & Sons, 1890


dimanche 24 janvier 2016

mercredi 20 janvier 2016

La Librairie P. Desbois 15 Rue Laffitte à Paris Livres rares et curieux Belles reliures ... croquée à l'eau-forte par Albert Robida. Que sait-on de cette librairie et de ce libraire ? Enquêt live ...



Eau-forte originale signée Albert Robida, vers 1901

Dimensions : 18,8 x 14 cm - Papier d'Arches


Enquête live !

Que sait-on de la librairie ancienne P. Desbois à Paris, librairie pour laquelle l'artiste-illustrateur a gravé l'eau-forte photographiée ci-dessus pour le plaisir des Bibliomanes modernes ? Une première recherche nous met en présence d'un catalogue imprimé de livres anciens et modernes. Il porte le n°23 et date de janvier 1901. On rencontre également le n°24 qui date d'avril 1901. On en déduira donc que cette librairie éditait un catalogue par trimestre, soit quatre par an. Ce catalogue d'avril 1901 est intéressant car sur la couverture il porte la mention : Depuis le 15 janvier 1901, la librairie P. Desbois est transférée au 15 Rue Laffitte. Ainsi, l'eau-forte de Robida date très certainement de quelques jours à quelques mois après cette date. Cette gravure devant servir de carte de visite pour indiquer la nouvelle adresse aux clients et amateurs. Cette libraire s'installe donc près du Boulevard des Italiens. Cependant elle n'a pas bougé de beaucoup, puisqu'en octobre 1900 (catalogue n°20) elle était situé au n°7 de la même Rue Laffitte. Autant dire qu'elle n'a finalement bougé que de quelques dizaines de mètres et est même restée du même côté de la rue. Nous avons également retrouvé le catalogue n°15 de l'année 1899. Le n°8 qui date de la même année. Le n°7 date de 1898. Dans le Supplément à la Bibliographie de la France (feuilleton) de juillet 1898, nous trouvons une liste de livres que cette librairie recherche pour ses clients bibliophiles : Les débuts de César Borgia (Bibliophiles contemporains, 1890) ; Les Trophées de Hérédia (sur Chine) ; Jean Lorrain, Ma petite ville (sur Japon) ; Salammbô de Flaubert, édition originale brochée ; La Dame aux Camélias (édition Quantin) ; etc. Cela donne une idée des livres que cette librairie haut de gamme proposait à la vente. Nous ne trouvons rien pour ce libraire pour l'année 1897. On en déduira qu'il a dû commencer son activité dans le courant de l'année 1898 ou à la toute fin de l'année 1897.

Qui donc était ce P. Desbois libraire à Paris en cette toute fin de XIXe siècle ?

Nous avons retrouvé une veille famille de Desbois libraires au XVIIIe siècle. Ainsi Pierre-Jean Desbois était-il le fils de Nicolas Desbois, lui-même petit-fils par alliance de Nicolas de Fer et héritier d'une partie de son fonds. Nicolas Desbois meurt en 1749 et Pierre-Jean dix ans plus tard. Sa veuve vend son fonds de géographie à Desnos. Ce Desbois de 1898 est-il un lointain descendant de cette famille d'imprimeurs cartographes ? Nous ne savons pas. D'ailleurs de ce Desbois nous ne savons rien. En tant que bibliophile, nous ne l'avons jamais rencontré, et c'est une certitude qu'il n'aura pas marqué son temps tel un Morgand ou un Gougy. Pourtant, ses catalogues (que je ne possède pas) devaient être bien fournis. D'après cette seule gravure, nous savons qu'il a été en relation suffisamment intime et amicale avec Albert Robida pour lui demander ou qu'on lui offre cette belle estampe publicitaire. La découverte d'une facture permet de savoir son prénom : Paul. Paul Desbois ! voilà l'homme quasi cerné ! Son papier à en-tête porte : Livres rares et curieux, belles reliures. Tout est dit. Le 5 août 1898 il vend pour 5 francs avec rabais de 20% (déjà ...) au Comte Félix de Fayolle à Périgueux, un livre de John Grand-Carteret, La voiture de demain. Soit 4 francs facturés avec 75 centimes de frais de port. Reçu en octobre 1898 (sans commentaire) ... 5 francs du client (qui savaient vivre). Comme l'aurait écrit Serge Gainsbourg : Comment il vécu ? Comment il est mort ? ... nous ne savons toujours pas. Mais en fouillant ... en cherchant un peu, l'on finit par trouver sa fin. Paul Desbois meurt des suites d'une "cruelle maladie" le 22 février 1906 (Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire). Une date ! enfin. Le généalogiste-libraire se réveille ! On lit : "Monsieur Desbois n'était âgé que de 45 ans !" Il était donc né en 1861. Le bonhomme va finir par nous livrer son CV in extenso ! Travaillons-le encore un peu. Le problème c'est qu'il n'y a pas qu'un âne qui s'appelle Desbois ... et qu'il va falloir retrouver le bon ! Armons nous de persévérance et de patience ... Bon ! le problème c'est des Desbois il y en a moult ... pas facile de trouver le bon ! Au bout de quelques heures de recherches je dois me faire une raison : je ne retrouve pas la trace de ce Paul Desbois mort le 22 février 1906 vraisemblablement dans le IXe arrondissement de Paris. Il me faudrait demander l'acte de décès à la mairie de cet arrondissement pour avoir sans doute la clé de cette énigme bibliopolesque. Mais peut-être suis-je passé à côté de quelque chose quelque part. Quoi qu'il en soit, nous en savons déjà plus qu'au début de ces quelques lignes écrites "dans le feu de la recherche" (sans relecture). Je vous laisse le plaisir de poursuivre si cela excite votre fibre chercheuse. En attendant vous pouvez toujours admirer cette belle composition gravée à l'eau-forte par le maître tailleur de cuivre Albert Robida. Paul Desbois fut libraire de 1898 à 1906, à peine huit années durant lesquelles il proposa aux amateurs de beaux livres, de belles reliures. Courte carrière ! Mais on ne compte pas le mérite au nombre des années ... heureusement !

NDLR : nous avons trouvé trace d'une librairie de livres d'occasion (livres anciens) à Bordeaux, entre 1881 et 1885, elle a pour raison sociale : Librairie E. Desbois & Fils. Elle est située Rue Huguerie, 70, près la rue du Palais-Gallien. Y-a-t-il un lien entre ces Desbois de Bordeaux et Paul Desbois installé à Paris en 1898 ? Nous ne savons pas.

Bonne soirée,

Bertrand Bibliomane moderne

mercredi 13 janvier 2016

Le Bibliomane a sa page Facebook : https://www.facebook.com/bibliomanemoderne/




A bientôt avec de nombreux goodies !
(ça fait branché d'écrire goodies ...)

Maladies littéraires : La bibliomanie, par Gustave Geffroy (Figaro, 21 avril 1888). "l'esprit habituellement grincheux, sectaire et despotique de la plupart des bibliomanes et bibliophiles".

 

      On pourrait y reconnaître la vache et son veau dans ce texte un peu fourre-tout du critique Gustave Geffroy ... ou bien même son âne ! D'ailleurs si la maladie est annoncée au bibliomane, il semble bien, au début tout au moins, que le bibliophile ne soit guère en meilleure posture sanitaire. Néanmoins ce texte d'un autre siècle n'est pas inintéressant. Chacun d'entre nous, je pense, y trouvera son travers, son vice, décrit et même bien disséqué. Je n'avais jamais lu ce texte avant ce soir et je trouve qu'il vient agréablement compléter la Physiologie du Bibliomane-Bibliophile. Après ce terrible diagnostic vital cependant, il est légitime, après un peu plus d'un siècle, de s'interroger sur l'intérêt que l'on peut trouver à continuer de conserver ces feuilles de papier noircies et reliées quand il existe désormais des stockages de masse portatif pouvant renfermer plusieurs Encyclopédie Diderot et d'Alembert ? Une clé USB 128 Go devrait nous contenter ! Mais non ...

Bonne lecture !
Bertrand Bibliomane moderne



MALADIES LITTÉRAIRES

LA BIBLIOMANIE



      Les dessinateurs et les peintres qui ont eu à représenter l'amateur de livres chez lui, dans l'intimité de son occupation favorite, ont à peu près tous imaginé la même mise en scène et la même attitude. La feuille de papier et le tableautin de dimension restreinte sont meublés par une bibliothèque, une table, un fauteuil en bois sculpté, ce qui se fait de mieux dans le faubourg Saint-Antoine. Une lumière de clair obscur blanchit un relief, un angle, fait étinceler une dorure. La fenêtre est petite, presque une lucarne, avec un vitrail très cloisonné de plomb. Le bibliomane est là, dans la discrète tombée de jour. Il est debout, accoudé au rebord de la fenêtre, le corps infléchi, les pieds croisés, et il lit un livre, un petit livre qu'il tient du bout des doigts, très solennellement.
      La fantaisie de l'artiste, on le voit, a été loin. L'anecdotier ne s'est pas contenté de costumer son homme de la défroque qui lui semble indiquée par le bois sculpté et les petits vitraux, en dentelles Louis XIII, en habit carré du XVIIIe siècle, en douillette de la Restauration. Ce carnaval d'intérieur est, après tout, vraisemblable. Où le mensonge de la peinture prend des proportions excessives, c'est lorsque la lecture du livre par le bibliomane est représentée comme un fait ordinaire, journalier, tout naturellement accompli. De son propre aveu, le bibliomane est un être spécial possédant des livres, QU'IL NE LIRA JAMAIS.

      Il a bien autre chose à faire que de lire ses livres. D'abord il passe la plus grande partie de son temps chez les libraires et dans les ventes, car pour se rendre toute lecture véritablement impossible, il lui faut des quantités de livres, brochures, paperasses, à ne savoir où les mettre, des rangées les unes sur les autres, des piles qui montent du sol, qui cachent les rayons, qui envahissent un cabinet d'une végétation odorante et poussiéreuse de vieux papier. Après les achats, c'est le dérangement et le rangement, le classement jamais définitif, la rédaction des fiches, des catalogues supplémentaires. Si le collectionneur reste une journée chez lui, ce ne sont pas les travaux qui lui manquent. Il y a, là bibliatrique comme il y a l'hippiatrique, et le traitement des livres est autrement absorbant et compliqué que le traitement des chevaux. Certains soins ne peuvent être confiés à des mains étrangères, et la bibliothèque se change aisément en atelier. Des traités existent qui prêchent le lavage des livres. Les taches d'huile et de graisse sont combattues par la dissolution de potasse caustique. Malheureusement, le lavage comporte la détérioration. La potasse amincit le papier, change sa couleur, le rend mou et pelucheux. L'eau de javel entre alors en scène, puis le sulfite de soude, pour enlever le chlore introduit par l'eau de javel. Il faut user de précautions sans nombre, l'encre d'imprimerie pâlit rapidement et disparaît sous l'influence de ces actifs agents. Quand ces divers ingrédients ont été employés et que l'amateur a réussi à peu près à éreinter le bouquin rare, il lui reste peu de temps pour se livrer à la chasse aux mites. Le lendemain, le surlendemain, et tous les jours qui suivent, il recommence. Véritablement, où trouverait-il une minute pour lire autre chose que des titres de livres, des affiches et des catalogues? ll ne prend l'attitude méditative., accoudé, l'index sur la tempe, que devant le peintre habile à composer l'immuable tableautin e genre qui est comme l'enseigne officielle de la bibliomanie.
      Les preuves existent en trop grande quantité pour qu'il soit possible de les mentionner toutes. On pourrait écrire quelques in-folios sur une telle manie, – est-ce littéraire ou antilittéraire qu'il faut dire ? - avant d'avoir épuisé le sujet. Peut-être suffirait-il de citer cette phrase de M. Le Roux de Lincy, secrétaire de la Société des bibliophiles, dans sa notice sur la vie et la bibliothèque de M. A. Cigongne (1861) :
      « M.Cigongne avait la passion des livres, mais cette passion chez lui était aussi éclairée qu'intelligente. lisant, CE QUI EST RARE, la MAJEURE partie des ouvrages qu'il achetait ... »

      Ainsi, en voici un, et des plus marquants, qui a laissé une fort belle collection, et son thuriféraire autorisé avoue qu'il ne lisait pas tout ce qu'il achetait. Et ce lecteur insuffisant est encore vanté comme un rare phénomène dans le monde où il évolue. D'ailleurs, elle est fort concluante, cette notice sur M. Cigongne, elle caractérise fort bien l'état l'esprit habituellement grincheux, sectaire et despotique de la plupart des bibliomanes et bibliophiles : « S'il s'était formé, dit M. Le Roux de Lincy, une instruction suffisante pour comprendre et apprécier à leur valeur les romans de chevalerie, les mystères, les poésies anciennes ... s'il aimait aussi les arts, la musique principalement, il était sévère dans ses jugements, souvent très vif dans ses opinions, il exprimait ses préférences d'une manière très absolue. Il était resté admirateur exclusif des grands maîtres et des vieux auteurs, les seuls guides, suivant lui, qu'il fût permis de suivre. Aussi n'entendait-il jamais sans impatience faire l'éloge des novateurs que l'entraînement de la mode mettait successivement en vogue. »

      C'est là surtout le signe évident de la maladie. Le bibliomane ne recherche que le « vieux », qu'il ne lit pas, et il a horreur du moderne, qu'il n'a pas lu davantage. Du temps de Cigongne, les novateurs dont on ne pouvait supporter l'éloge, c'étaient par exemple Balzac, Hugo, Michelet. En ce moment, c'est à peine si ces trois écrivains et quelques-uns de leurs contemporains sont admis dans les collections qui se respectent. Pour les vivants, bien entendu, l’excommunication est majeure. Un bibliophile pourrait être nommé ici qui est l'objet des railleries de ses confrères parce qu'il acquiert, sur grand papier, les œuvres littéraires des nouveaux venus. Il y a à peine huit jours,dans une gazette spéciale, un bibliomane-critique disait vertement son fait à Flaubert. Dans cent ans, dans deux cents ans, on s'occupera de rechercher les exemplaires introuvables des livres du XIXe siècle. Les bibliophiles de notre temps laisseront comme monuments de leur goût des catalogues de collections commencées en 1830 et dispersées en 1870 où ne se trouve pas le nom de Hugo. Dans le Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés de la bibliothèque de M. le baron J. Pichon, le nom de Balzac se trouve inscrit à la table des noms d'auteurs. N'ayez pas la curiosité de regarder, il s'agit, bien entendu, de Guez de Balzac, de l'autre, de celui du XVIIe siècle.

      En revanche, que M. de Chevigné écrive les insipides Contes rémois, il se trouvera un critique, M. Jules Levallois, fonctionnant à l'Opinion Nationale en 1884, qui inscrira le nom de l'amateur auprès des noms de-Rabelais, Régnier, Marot, La Fontaine, Voltaire, et il se trouvera un public de collectionneurs suffisant pour épuiser douze éditions luxueuses de la petite chose en question. Que l'exemplaire original du journal Paris-Murcie passe en vente à l'hôtel Drouot, il se trouvera un monsieur qui se pasionnera, qui se ruera aux enchères, et qui finalement emportera l'objet en échange de 12.300 francs. – Qu'un Boccace de 1471 se vende, à Londres, en 1812, 2.260 livres sterling à la vente du duc de Roxburg, il se fondera le Roxburgh club, qui se réunira tous les ans, le 13 juillet, jour anniversaire de la vente. Les exemples pourraient être multipliés à l'infini. Pour les goûts particuliers, les désirs allant à tels exemplaires plutôt qu'à tels autres, ce sont inoffensives manies auxquelles les cinq vers connus peuvent servir d'épigraphe :

C'est elle ! Dieu, que je suis aise ;
Oui, c'est la bonne édition ;
Voilà bien, pages neuf et seize,
Les deux fautes d'impression
Qui ne sont pas dans la mauvaise.

Les événements de la vie d'un bibliomane peuvent tourner au tragique. Brunet s'est évanoui pour une faute d'impression introduite dans le Manuel du libraire. Le marquis de Çhalabre est mort, dit le bibliophile Jacob, « du noir chagrin qu'il conçut à la recherche infructueuse d'une bible imaginaire ». Des amateurs d'une espèce particulière, de l'espèce dite bibliotaphe, qui cachent, qui ensevelissent les livres, souffrent mille transes, s'effarent et se dessèchent comme les avares qui veillent auprès de leurs trésors. Mais là encore l'affection maligne se présente avec des symptômes qui la rendent touchante, et il faut laisser en repos ces victimes dans les cabanons intellectuels qu'elles se sont choisis. Le bibliomane ne retient l'attention et n'excite au commentaire que lorsqu'il se manifeste par la prétention de son goût à tout régenter, par la publicité de ses jugements.

      On les compte, ceux qui ont su extraire de leur bibliothèque, une savante et raisonnée bibliographie comme celle qui fut publiée en 1843 sous le titre Catalogue des Livres composant la bibliothèque poétique de M. Viollet-le-Duc. Ou plutôt, on ne les compte pas. Un tel travail de classement, d'histoire, de biographie, de citations justement choisies, reste isolé dans les fatras des listes et des commentaires élucubrés par les fortunés acheteurs de livres. Le dédain de ces derniers pour la littérature se trouve logiquement puni aussitôt qu'ils saisissent une plume pour célébrer les dos, les tranches et les vignettes de leurs exemplaires de luxe. Quelles locutions inattendues dans la platitude, quelles comparaisons amphigouriques dans la banalité ne trouvent-ils pas lorsqu'ils se consacrent, entre eux, des notices pour annoncer leurs ventes, car ils vendent, ils écoulent leur magasin, de temps à autre, quand ils sont dégoûtés d'un genre, ou d'un relieur. La. vente posthume est aussi motif à dissertation chez les survivants, et les oraisons funèbres ne manquent pas de prendre des proportions stupéfiantes. Dans la langue des bibliomanes, il y a toujours un livre qui devient la « pierre angulaire » d'une bibliothèque. - L'intelligence d'un amateur est célébrée en ces termes « M. le baron Grandjean ne tarda pas à assaisonner les délices de la science du condiment si vif et si pénétrant de l'amour des livres. » Dans la notice Le Roux de Lincy, pour Cigongne, qui est décidément inépuisable, le bibliophile garde-national que fut Cigongne en 1848 est exalté par un Bossuet bonnetier tout à fait stupéfiant : « ... Mais fallait-il en venir aux mains ce qui malheureusement lui était arrivé, convaincu de son inexpérience au maniement des armes, il distribuait ses cartouches à ceux qui l'entouraient et restait paisible au milieu du sifflement des balles. » - Le catalogue des livres rares et précieux de M. de La Roche La Carelle qui vont être dispersés à la fin de ce mois est accompagné d'une préface de M. Quentin-Bauchart où les ventes sont comparées, sur le mode héroïque, à des scènes de carnage « Devant le commissaire-priseur, il allait aux enchères comme les braves vont au feu, et tout le monde a pu le voir dans cette salle de l'hôtel Drouot, témoin de tant de mêlées furieuses, s'obstiner glorieusement et vaincre. » C'est d'une verve un peu excessive, et le portefeuille et le porte-monnaie bien garnis de M. de La Carelle ne croyaient pas mériter des acclamations aussi guerrières. C'est ce même M. de La Carelle, « professant un souverain dédain pour les livres à sensation du XIXe siècle », qui aimait à promener, sur les caractères des livres, des doigts habitués à ce contact, rendant ainsi possible une nouvelle variété du bibliophile, le bibliophile aveugle. Ce qui ne l'avait pas empêché, aux premiers sévices exercés par une maladie des yeux, de vendre une bibliothèque laborieusement composée. Il avait bien tort puisqu'il eût continué à goûter les mêmes jouissances. »

      Pour compléter le portrait du bonhomme qui fait semblant de lire auprès de sa fenêtre à vitraux, il aurait fallu noter son goût des éditions obscènes, avec figures. Le bibliomane, si pudique lorsqu'il s'agit d'un livre nouveau, triste et pitoyable, d'expressions violentes, se retrouve égrillard et fort allumé dans l'intimité de ses bouquins. Sa duplicité, son désir perpétuel de tromper le confrère qui vend, qui achète ou qui échange, pourraient fournir aussi un curieux chapitre où seraient relatées ses tactiques finaudes, ses habitudes sournoises il n'est pas de monde où la méfiance soit davantage le fond même de la nature et l'indice de l'état mental. C'est ce qu'a fort bien traduit, en phrases de pince-sans-rire, M. Edouard Rouveyre, dans les Connaissances nécessaires à un bibliophile : « Lorsque les notes du catalogue exaltent la rareté ou le mérite extraordinaire d'un livre, il faut parfois ne point y ajouter une foi entière. Il y a des exemples d'éditions indiquées comme inconnues, et qui étaient déjà signalées par des bibliographes ; il arrive aussi de temps en temps que les désignations de beaux exemplaires ne se trouvent pas rigoureusement exactes. » Qu'il suffise de faire remarquer, et ceci différencie le bibliomane du bibliophile, qu'on en est arrivé à relier, à dorer et à ornementer les livres de telle façon qu'il est interdit de les ouvrir. Le paragraphe écrit par l'admirable La Bruyère dans le chapitre De la mode revient en mémoire :
      « ... Mais quand il ajoute que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir je vais trouver cet homme qui me reçoit dans une maison où dès  l'escalier je tombe en faiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles pour me ranimer qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'autre, dire que sa galerie est remplie à quelques endroits près, qui sont peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l’œil s'y trompe, ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir, je le remercie de sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, voir sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque. »
       On en arriverait à envier le scepticisme de Pococurante, seigneur vénitien passant en revue ses livres, au chapitre XXV de Candide, et résumant ainsi son opinion sur Cicéron, et sur les autres : « Je me serais mieux accommodé de ses œuvres philosophiques ; mais quand j'ai vu qu'il doutait de tout, j'ai conclu que j'en savais autant que lui, et que je n'avais besoin de personne pour être ignorant ».


Gustave Geffroy
Le Figaro, supplément littéraire
Samedi 21 avril 1888

lundi 11 janvier 2016

Moment de lecture, Un provincial à Paris en 1789 : "Acheter un livre très cher, le déposer dans sa bibliothèque, ne jamais l'ouvrir, rien d'aussi commun (...)"


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6385989j 

Photographie Bnf, Gallica,
consultez l'exemplaire numérisé en cliquant sur l'image ci-dessus 


On ouvre souvent un livre au hasard, le soir tard, parce que le sommeil ne vient pas, parce qu'on se pose la question de savoir ce qu'on sera demain. (1)

Hier soir, c'est à la page 79 d'un ouvrage intitulé : "Un provincial à Paris, pendant une partie de l'année 1789." qui a retenu mon attention. Livre édité à Strasbourg, par l'imprimerie de la société typographique, avec les caractères de Jacob, et qui se trouve à Paris chez La Villette, libraire à l'hôtel des Bouthillers, rue des Poitevins. Curieusement publié sans date (1790 d'après les bibliographies consultées). C'est un in-8 de 258 pages avec un errata d'une page à la fin. Présenté sous forme de lettres 37 lettres qui traitent de divers sujets d'actualité (révolution, cour, esprit, Paris, etc). Elles sont fort bien écrites.

Voici donc le passage sur lequel je suis tombé, les yeux fatigués :

"(...) Acheter un livre très cher, le déposer dans sa bibliothèque, ne jamais l'ouvrir, rien d'aussi commun : cependant l'amour propre prétend juger, veut assigner à tout écrivain quel rang lui appartient : le satisfaire, sans contrarier la paresse, devient assez difficile. Des lecteurs attitrés, véritables trompettes de renommée, courent chez les libraires, y lisent l'ouvrage du jour, viennent ensuite dîner dans un hôtel, rendent des comptes faits avec quelques talents, ont l'attention de présenter tantôt l'éloge, tantôt la critique, suivant que l'auteur et ses productions plaisent ou déplaisent à des auditeurs dont ils désirent avant tout les suffrages. Le voyage d'Anarcharsis paraîtra aux yeux de la postérité, comme un superbe obélisque élevé parmi des munuments sans nombre, de plusieurs desquels se distingueront à peine quelques faibles débris. Au génie soutenu par l'érudition, embelli par la magie du style, appartient de droit l'admiration de ses contemporains, encore plus celle des siècles à venir, chez lesquels la jalousie ne parvient pas. Je suis donc loin de blâmer les pompeux éloges prodigués par le public, mais j'observerai que plusieurs femmes disaient de cet ouvrage des choses merveilleuses ; avant d'avoir eu le temps de jeter les yeux sur le premier chapitre.

Me voici bien revenu de l'usage, scrupuleusement observé par les écrivains, d'offrir de beaux exemplaires à leurs prétendus protecteurs, à leurs puissants amis. Ce n'est pas sans quelque confusion que j'ai vu presque tous mes présents languir sur des chiffonnières, aussi intacts qu'à l'instant où ils étaient arrivés, pas même l'attention de les couper.

Divers compliments, presque tous assez baroques, m'ont paru peu encourageant. Pourquoi écrire l'histoire ? Il n'y a de supportable que les livres d'imagination, dit hautement le vicomte de * *. Le baron de * * * s'écrie : "Le superbe papier ! les beaux caractères !", tandis que la marquise de * * *, plus fine, répète avec complaisance : "Ah, monsieur ! vos Carthaginois ne m'ont pas échappé ; je les reconnais pour ce qu'ils sont ; j'y vois certaines gens ; j'y découvre certaines aventures du jour, même de mon quartier ; vraiment rien de plus délicieux." Le duc de * * * reçoit avec cette apostrophe : Il faut, ma foi, bien du temps de reste pour composer des livres. Si la rage d'écrire l'histoire vous poursuit, entreprenez celle de mes ancêtres ; c'étaient autant de héros. Les positions ont bien changé." - Elles seules font donc les hommes. Adieu." (fin de la lettre XI).

Passage qui sert à la fois d'argument à nos auteurs insignifiants et au bibliomane qui vit en chacun de nous.

L'auteur de cet ouvrage est M. Anne-Henri Cabet de Dampmartin.


Amitiés dominicales,
Bertrand Bibliomane moderne


(1) Cet article a été rédigé initialement en 2009 et alors jamais publié. Il était resté à l'état de brouillon. La chose est réparée.

La Bibliophilie collective selon Jean Gradassi (1960)



Illustration de Jean Gradassi pour

L'Ecole de l'Interest
Paris, Eryx, 1960

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