mardi 31 mai 2016

Musarder dans l’espace-temps, ou l’aventure d’un livre, par S***


Un soir, surfant sur internet – car que faire en son web à moins que l’on ne flâne ? - j’étais à la recherche d’informations improbables sur une reliure humaniste en peau de truie estampée à froid, issue d’un atelier Saxon du XVIe, et dont je ne parviens à percer le mystère.

L’obscure et hasardeuse sagesse des algorithmes m’a conduit à alunir sur le blog du Bibliomane où Textor nous faisait part de son acquisition récente, lors du Salon du Livre Ancien et de l’Estampe (au Grand-Palais), de ce très bel ouvrage composite édité chez Henri Petri en 1547, et comprenant notamment l’important « Procli  De Sphaera Liber », essentiel traité d’astronomie.

Dans ce même volume se trouvait également le texte de Denys l’Africain (Dionysos Periegetes (« le voyageur »), encore dit Denys l’Alexandrin)  intitulé « Description des terres habitées », et dont l’heureux Textor possède l’édition de Venise de 1478, une traduction latine d’Antoine Beccaria.



Description des terres habitées, Venise, 1478
(Glasgow Incunabula Project)

L’édition princeps en grec de La Description des Terres Habitées fut d’abord donnée par Giovanni Mazzocchi à Ferrare en 1512, suivie un an après par Alde en 1513 qui l’inséra dans son édition de Pindare. Puis Robert Estienne l’édita à Paris en 1547, à partir d’un manuscrit de la Bibliothèque Royale, avec pour la première fois le commentaire d’Eustathe de Thessalonique.

Ce poète géographe contemporain de l’empereur Hadrien écrit son texte en hexamètres grecs. Ecoutons-le dans sa traduction en français par l’humaniste bourguignon Bénigne Saumaise : « Je veux chanter l’enclos de la terre habitée, la mer au large sein…. Dîtes moi les chemins et obliques détours. Mignonnes, servez-moi de fanal et de guide ! ».

Mais là je dis Grèce… ! Revenons donc de ces voyages exotiques en compagnie du periégète, pour nous intéresser à Proclus. Ce dernier, savant, philosophe, membre éminent de l’école néo-platonicienne d’Athènes au Vème siècle, était né à Byzance vers 412 de notre ère, étudia à Alexandrie, et vécut à Athènes. Il est célèbre entre autres pour ses commentaires sur le Timée de Platon, qui ont eu une importance considérable à la Renaissance.

Comme le dit Textor, son traité sur les Sphères est en fait essentiellement une reprise des éléments de Geminos de Rhodes, astronome et mathématicien grec qui avait vécu plus de 400 ans auparavant, et c’est d‘ailleurs sous cette attribution que cet ouvrage est catalogué par la BnF. Le texte grec avec sa traduction latine fut donnée à Paris par Gilles de Gourmont en 1516.

Ce texte eut un grand succès et fut republié par de nombreux éditeurs pendant la première partie du XVème siècle.

En fait, bien que très respecté, voire même vénéré par ses contemporains pour l’étendue de son savoir, Proclus n’est ni un mathématicien génial ni un scientifique vraiment créatif, mais il a un talent extraordinaire de synthèse et de vulgarisation. Il fait le point de façon pertinente et intégrée sur l’état des sciences mathématiques à son époque, depuis les travaux de Thalès, près de 700 ans auparavant, jusqu’ à son époque. C’est un mathématicien honnête, mais il est en fait bien meilleur dans la philosophie et la poésie. Mais, excusez du peu, il est tout de même l’un des 300 mathématiciens au monde qui a un cratère à son nom sur notre satellite…

 
Marque d’imprimeurs de Heinrich Petri
(in : The printers of Basle in the XV and XVI centuries, Heckethorn, London 1897)


L’édition de 1547 dénichée par Textor est très intéressante car elle regroupe un certain nombre de textes essentiels pour les humanistes de l’époque à la compréhension de l’univers, et ce n’est pas un hasard si cet ouvrage, publié dans cet important foyer de la Réforme qu’était Bâle y ait rencontré un grand succès. Pour se remettre dans le contexte de l’époque, il faut bien comprendre que, même si depuis déjà deux millénaires Pythagore avait postulé que la terre puisse être une sphère, ce n’est réellement qu’en 1522 que Magellan à l’origine de la première circumnavigation de l’histoire, sût en apporter la preuve définitive, au-delà de toute spéculation scientifique ou de toute croyance.

Selon USTC, cet ouvrage est présent dans 8 bibliothèques en Allemagne et une en Hongrie, mais pas en France (mais ceci serait à vérifier).

L’imprimeur Heinrich Petri, actif à Bâle de 1527 à 1579 a édité nombre d’importants textes scientifiques, dont ceux de Sebastien Münster, ou aussi en 1566 avec son fils la seconde édition de « De revolutionibus orbium celestium » de Copernic.



Marques d’imprimeurs de Jean Walder
(in : The printers of Basle in the XV and XVI centuries, Heckethorn, London 1897)


Quelques années auparavant, en 1540, également à Bâle, Jean Walder, avait imprimé l’édition princeps en grec d’un autre ouvrage d’astronomie de Proclus, « Hypotyposis astronomiarum positionum », édité par Simon Grynaeus (in quarto). Jean Walder s’était déjà illustré par un magnifique coup éditorial en 1538 en publiant in-folio la version princeps de « L’Almageste » de Ptolémée, avec déjà Simon Grynaeus comme éditeur scientifique. L’Hypotyposis fut le dernier texte édité par Grynaeus publié de son vivant, car il périt à Bâle en 1541 pendant l’épidémie de peste.


Simon Grynaeus, théologien humaniste réformé (1493-1541)


Les rivalités commerciales et de prestige entre imprimeurs étant vives, on peut imaginer que c’est à la suite de ces importantes réalisations de son confrère, que Heinrich Petri avait souhaité se lancer dans un projet plus ambitieux, à savoir l’impression d’un ensemble cohérent de 4 titres scientifiques d’auteurs différents dans un même volume, celui donc qu’il produisit en 1547. Dans cette compétition acharnée entre imprimeurs les relations n’étaient pas toujours des plus cordiales, et d’ailleurs Jean Walder était en procès contre  Heinrich Petri et Isengrin, à propos d’un Lexicon Graeco-Latin qu’il avait publié en 1539.

He bestowed great care on works printed in Greek by him ; they were distinguished for accuracy and elegance.

L’Hypotyposis est une introduction à la théorie astronomique, basée notamment sur les travaux antérieurs d’Hipparque (pas celui du cirque de Tintin, mais bien l’inventeur de la trigonométrie !) et de Ptolémée. Y sont développées les notions d’épicycles et d’eccentriques, et, combinant géométrie et astronomie, Proclus synthétise une théorie cohérente. Dans cet ouvrage, il expose aussi comment l’horloge hydraulique (clepsydre) de Héron d’Alexandrie (10-75 de notre ère) peut être utilisée pour estimer le diamètre du soleil.



Clepsydre grecque


Mon exemplaire de l’Hypotyposis provient de la bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) et est relié à ses armes (avant son mariage). Filets d’encadrement dorés simples et doubles, joints en diagonales aux 4 coins. Dans la pièce centrale, une guirlande entoure l’écu aux 3 abeilles. Au sommet une tête de Chérubin ailé dans un halo. Au-dessous un bandeau inscrit « JAC. AUGUST THUANUS ». Au dos de la reliure le monogramme est répété 6 fois.



La reliure est en maroquin rouge, et porte sur les premiers plats une inscription manuscrite en noir, qui est une côte de bibliothèque, «  J.f.19. »  Cette côte est reprise au contreplat sous la forme « Vest . 1ère J.f.19 ». D’une écriture à l’encre du 18ème siècle est inscrit « This book belonged to Thuanus », avec une signature non déchiffrée.
  


Marque de bibliothèque sur L’Hypotyposis, Walder 1540


Cette marque de bibliothèque est celle de Charles de Rohan-Soubise (1715-1787), comme ici sur le Ciceron (Turnèbe 1553) à l’Université de Pennsylvanie, provenant aussi de De Thou.




En effet la bibliothèque de J. de Thou (près de 13 000 volumes) passa d’abord à son fils. Ce dernier, loin de perdre la tête devant un tel héritage, la perdit en revanche lorsqu’il fut décapité en 1642 à l’âge de 35 ans sur ordre de Richelieu, pour ne pas avoir dénoncé la conspiration du marquis de Cinq-Mars dont il avait pourtant connaissance.

La bibliothèque Thuane fut acquise en 1679 par Jean-Jacques Charron, marquis de Ménars (1643-1718). Ce dernier, Président à Mortier au Parlement de Paris (et aussi beau-frère de Colbert qui avait épousé sa sœur), la vendit en 1706 (pour un prix de 40 000 livres) au Cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg (1674-1749).


Le cardinal de Rohan (par Hyacinthe Rigaud)


A la mort du Cardinal, son neveu, Charles de Rohan, prince de Soubise hérita de la bibliothèque, et elle resta dans la famille de Rohan-Soubise jusqu’en 1789, date à laquelle la bibliothèque fut finalement démantelée et vendue.


Charles de Rohan-Soubise, Pair et Maréchal de France


Holland House, vers 1770


Sur le premier contre-plat figure également l’ex-libris gravé de la « Holland House » à Londres, représentant un renard. Holland House était une très aristocratique et spectaculaire propriété, bâtie à partir de 1604 sur ce qui est maintenant Holland Park dans le quartier de Kensington. Cette propriété fut acquise en 1767 par Henry Fox, 1st Baron Holland. Pour Holland à l’époque, son adversaire n’était pas la finance : trésorier payeur des armées, il semble qu’il en ait profité pour accaparer illégalement pendant ses 8 années en fonction une somme de 400 000£, une somme colossale pour l’époque.


Armes de la famille Fox, Barons Holland
(un renard siège sur un chapeau-hermine,
tenant dans sa gueule une rose,
 sous une couronne de baron).


Le 3ème Baron Holland, Henri Vassal-Fox (1773-1840), fut une important figure politique de l’époque, proche des «whigs ».  Libéral et cultivé, il visita Paris en 1791 où il rencontra Lafayette et Talleyrand, avant d’accomplir son «grand tour» en Italie jusqu’en 1793. On ne put exclure que ce soit lors de ce passage à Paris qu’il acquit ce volume pour sa propre bibliothèque, alors que les libraires liquidaient leurs stocks de livres au kilo en cette période révolutionnaire. C’est à cette époque où le livre quitta la France pour l’Angleterre qu’aurait pu être apposée la mention manuscrite « This book belonged to Thuanus ».
  


Henry Vassal Fox, 3d Baron Holland (portrait at The National Gallery)


Holland House resta un haut lieu de la vie culturelle, sociale et politique à Londres pendant tout le 19ème siècle. Y furent reçus entre autres Lord Byron, Disraeli, Charles Dickens ou Walter Scott. Au début du 20ème siècle, Holland House avait encore le plus grand parc privé de Londres, plus grand que celui de Buckingham Palace. Même si la baronnie s’était éteinte, la propriété est restée dans la famille jusqu’après la deuxième guerre mondiale.

Un certain nombre de ventes de livres de la librairie des Barons Holland eut lieu à différents moments. Dés 1775 la bibliothèque de Stephen, 2e Baron Holland fut vendue chez Christies (11 decembre). En 1813 une partie de la bibliothèque de Charles-James Fox fut vendue dans une vente anonyme (Jeffery, Pall Mall, 17 juillet 1813). Enfin une partie (principalement des doubles) de la bibliothèque de Henri Edward, 4e Baron et dernier de la lignée fut vendue chez Sothebys le 29 novembre 1847.

Néanmoins, la bibliothèque fut pour l’essentiel préservée, et, comme le montre le cliché ci-dessous, avait encore belle allure en 1907.



Il existe plusieurs ex-libris gravés pour la « Holland House library », réalisés à différentes époques, et tous s’inspirant bien sûr de la thématique du blason familial des Fox, le renard.
La marque ci-dessous, par exemple, présentée sur le site du Musée des Beaux-Arts de San Francisco comporte la devise en latin (« vitam impendere vero » = consacrer sa vie à la vérité) et figure deux renards.


Fine Arts Museum of San Francisco)
 (Achenbach Foundation for graphic arts,
Accession # 1963.30.20880)



Ex-Libris Henry Fox 1st Baron Holland


Ces deux ex-libris sont très différents de celui apposé sur notre Hypotyposis. En revanche, les cotes de bibliothèque apposées au crayon bleu sur l’ex-libris ont les mêmes caractéristiques que celles retrouvées sur l’ex-libris de San-Francisco.



Premier contreplat
(Hypotyposis, Walder, Bale 1540)

  
Le plus plausible est que cet ouvrage soit ensuite resté dans la bibliothèque de Holland House jusqu’à la deuxième guerre mondiale. En 1940, Londres est soumis aux bombardements allemands (le Blitz), et le 27 septembre, pendant un raid de la Luftwaffe qui dura une dizaine d’heures, plus de vingt bombes incendiaires atteignirent Holland House, détruisant l’essentiel de l’édifice. Par miracle, la bibliothèque fut relativement préservée et la plupart des volumes purent être sauvés des flammes et de l’eau (en fait il semble que les volumes les plus précieux avaient été déménagés ailleurs au début de la guerre).

Le saisissant cliché ci-dessous montre des lecteurs, au lendemain du bombardement consultant des ouvrages dans la bibliothèque. Il s’agit en fait d’une image de propagande prise près d’un mois après le bombardement, et censée montrer un admirable exemple du flegme et de la résilience des londoniens pendant cette période. De fait, la tragédie de la destruction de Holland House ne fut reportée dans la presse que le 22 octobre, soit 4 semaines plus tard, censure oblige. Mais quelle que soient ses intentions, cette image est aussi une évocation absolument prodigieuse, hallucinante même, de ce qui pousse l’homme à dépasser les catastrophes et à résister, en cherchant au travers des livres et de la culture à donner du sens à son destin, aussi sombre puisse-t-il paraître.



 Holland House Library, après le blitz (1940)


C’est aussi le cas pour cet autre cliché montrant une simple librairie de quartier atteinte par les bombes en 1940, avec un jeune homme lisant tranquillement dans les ruines « L’Histoire de Londres ».


London bookshop after German bombing, 1940. Available from AP Images.
Reading history and seeing it, too an amusing sidelight of the latest chapter in London’s history is this lad who, according to the British caption, sits mid the ruins of a London bookshop following an air raid on October 8, 1940 in London, reading the History of London.

  
Après ces tristes évènements de 1940, Holland House resta à l’état de ruine jusqu’à ce que le dernier descendant de la famille le vendit en 1952 à la ville de Londres. Entre temps, il y eut encore en 1947 une dernière vente aux enchères des livres de la Holland House Library, à la maison de vente Hodgsons le 13 mai 1948.

Le prochain possesseur connu de notre ouvrage est le bibliophile américain Robert Brodhead Honeyman. Cet homme né en 1897 collectionna livres et manuscrits sa vie durant, notamment dans le domaine des sciences (astronomie particulièrement), et fit construire un musée privé pour ses livres rares et œuvres d’art (principalement peintres impressionnistes et art de l’ouest américain) en Californie (San Juan Capistrano, Rancho Los Cerritos).

En 1958, à l’occasion de l’Année Géophysique Internationale (AGI, du 1er juillet 57 au 31 décembre 58), il exposa une partie de sa collection en Californie puis en Pennsylvanie (Lehig University, son « Alma Mater »). C’est à l’occasion de l’AGI que le Spoutnik 1 a été lancé par l’URSS le 4 octobre 1957, événement majeur de la guerre froide qui se jouait alors.
  


Sa collection comportait plusieurs milliers de livres de sciences. Un autre très grand bibliophile collectionneur d’ouvrages scientifiques, Haskell Norman, rapporte que Honeyman s’était fixé comme règle de ne jamais dépenser pour un seul livre, ou pour une seule journée d’acquisition plus de 4000 $. Si le livre qu’il souhaitait acquérir dépassait cette limite, alors il cédait en complément un ou plusieurs livres déjà en sa possession.

En 1963 les œuvres d’art furent cédées à l’université de Berkeley (Bancroft Library). Quant à sa magnifique bibliothèque de livres scientifiques elle fut dispersée chez Sothebys au cours de plusieurs vacations entre 1978 et 1981. Honeyman lui-même décèdera en 1987.

Je ne sais pas sous quel numéro nôtre exemplaire de l’Hypotyposis figurait dans le catalogue de ses ventes de 1978-81, ni qui l’avait acquis, ni à quel prix. Je sais qu’avant de rejoindre notre bibliothèque il y a une dizaine d’années, nôtre exemplaire avait été acquis à Londres chez Sothebys en 1986 par son précédent propriétaire.
  


Ainsi, pour résumer, le scénario probable pour  l’itinéraire de ce livre au cours de presque cinq siècles est le suivant :

1540 : Livre publié à Bâle chez Jean Walder (édition princeps en grec)
1541 : L’éditeur Simon Grynaeus meurt de la peste
1580 : Bibl. De JA De Thou célibataire (date du mariage =1587)
1617 : Mort JA de Thou
1642 : Exécution de JA De Thou II
1679 : Acquisition par le Marquis de Mesnard
1706 : Acquisition par le Cardinal de Rohan
1749 : Attribution par héritage à Charles de Rohan, Prince de Soubise
1789 : Vente à Paris de la Thuana et Rohan-Soubise
1791 : Acquisition à Paris par Henry Vassal Fox, 3d Baron Holland
1793 : Henry Vassal Fox retourne en Angleterre
1813 : Vente Charles-James Fox (il n’y figure pas)
1847 : Vente 4th Baron Holland (n’y figure pas)
1940 : 27 septembre, bombardement de Holland House: l’exemplaire n’est pas endommagé
1947 : Vente finale de la Holland House Library
1950-60 : Acquisition par Honeyman, date indéterminée
1978-81 : Vente Honeyman
1986 : Vente Sothebys à Londres
2008 : Propriétaire actuel

Il est émouvant de constater qu’au travers ces cinq siècles d’histoire, de guerres et de vicissitudes diverses, cet important ouvrage humaniste a été préservé dans les différentes bibliothèques qui l’ont accueilli, et par les générations de bibliophiles qui ont eu la chance d’en être le dépositaire à un moment ou à un autre de sa longue histoire, et qu’il se trouve aujourd’hui pratiquement dans le même état que lorsque le jeune Jacques-Auguste de Thou le fit relier vers 1580.


Vale.

S***

mardi 24 mai 2016

La Descendance de François Belin (1748-1808), fondateur des Éditions Belin, par Jean-Paull Fontaine, sur le blog Histoire de la Bibliophilie



Le Bibliomane se fait l'écho des bons articles et des bon sites !

A découvrir en cliquant sur l'image ci-dessus la belle et longue histoire de la librairie Belin.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

mardi 17 mai 2016

Tapis rouge pour le Traité de la Sphère par Jean de Sacrobosco (1572), by Textor


En voyant Julia Roberts et Georges Clooney, (What else ?), présenter leur dernier opus, je me suis dit qu’un autre Holywood, moins connu mais mieux représenté dans ma bibliothèque, a eu sa période de gloire, c’est John of Holywood, alias Sacrobosco en latin. Son œuvre majeure, le Tractatus de Sphera Mundi, contient plus d’étoiles que le trottoir de Sunset Boulevard.

J’avais déjà eu l’occasion de vous présenter, (Mais c’était il y a quelques années et la génération Y ne s’en souvient plus) une des éditions incunables de ce traité de la Sphère, celle de Reiner de Heilbronn, 1478. Voici un autre exemplaire, de cent ans plus jeune, la première traduction en italien publiée chez les Giunti en 1572.

Né au XIIIème siècle, étudiant d’Oxford, c’est à la Sorbonne que John of Holywood choisit d’enseigner l’arithmétique, l’astronomie et des matières annexes telles que la climatologie, les phénomènes célestes, l’astrologie qui servaient aux étudiants autant qu’aux voyageurs ou qu’aux médecins.  Son traité de la sphère couvre ces différents sujets de manière très synthétique puisque l’ouvrage ne fait pas plus de 68 pages.

Cette édition florentine, bien imprimée et abondamment illustrée, a cela de particulier qu’elle est sortie des presses des Giunti de Florence en 1572  alors que Nicolas Copernic avait déjà fait paraître son De Revolutionibus (1543) qui rendait parfaitement caduc la cosmologie de Ptolémée. Mais il est vrai que Sacrobosco était encore enseigné en Allemagne, au Pays Bas et en France après la parution de l'Astronomia Nova de Johannes Kepler (1609) !

Si la théorie de la terre au centre du monde est un peu périmée aujourd’hui (encore que pour ma part, j’ai toujours le sentiment que le soleil tourne autour de la terre, cela se vérifie surtout au bord de la mer), le Traité de la sphère contient encore quelques vérités indémodables comme celle-ci :

‘’Pour trouver que le Ciel soit rond, il y a trois raisons, similitude, commodité et nécessité.  Similitude, pour ce que le monde sensible est fait à la similitude du monde archétype. De là vient que vu que le monde contient toutes choses, nous disons que telle forme lui a été commode et convenable. Nécessité, car si le monde eût été d’autre forme que ronde, c’est à savoir de forme triangulaire, carrée ou de plusieurs côtés, il s’ensuivait deux choses impossibles : c’est à savoir, qu’il y aurait quelque lieu vide, et quelque corps sans lieu ; desquelles choses l’une et l’autre sont fausses.’’

Ce qu’il fallait démontrer.

Reste que la sphère est la plus harmonieuse des figures et qu’elle décore joliment ce traité pour la plus grande joie des bibliophiles.

Bonne Journée
Textor


Fig 1


Fig 2



Fig 3



Fig 4



Fig 5

lundi 16 mai 2016

Une société américaine propose un parfum à l'odeur de vieux livres.



A l'heure du tout électronique et des e-books, le bon vieux bouquin d'occasion jauni à l'odeur inimitable et qui pourrait sans doute raconter autant d'histoires que son contenu a toujours des adeptes. Qui n'a jamais espionné du coin de l'œil une personne attirante à la bibliothèque ou dans une librairie indépendante, ou regardé à travers les étagères d'une librairie de livres d'occasion ? L'attrait des vieux volumes est indéniable. Et c'est justement ce que se sont dit une société américaine… pourquoi ne pas essayer de séduire votre bien-aimé(e) en sentant comme la chose qu'il ou elle aime tant ? Autrement dit, pourquoi ne pas vous envelopper dans l'odeur d'un livre, sentir comme lui ?

L'« odeur de livres » est aujourd'hui devenue une réalité dans le monde du parfum, comme la vanille, le cuir ou le bois de santal. Au cours des dernières années, des dizaines de produits sont apparus sur le marché pour donner à votre maison –plus rarement à une personne- l'odeur terreuse et reconnaissable entre toutes d'une collection de livres rares. A présent, la société Sweet Tea Apothecaries vend un parfum baptisé « Dead Writers Perfume », qui promet d'évoquer l'arôme de livres assez vieux pour leurs auteurs aient rejoint la compagnie des grands écrivains au paradis. Il y a aussi la ligne de produits « In the Library » du parfumeur Christopher Brosius qui permet à votre maison et votre corps de sentir exactement comme ça. Le haut de gamme de cette gamme, le parfum « Paper Passion » prétend quant à lui capturer les « plaisirs olfactifs uniques du livre fraîchement imprimé », mais à environ 200 Dollars US le flacon, il est sans doute beaucoup moins cher d'acheter un livre fraîchement imprimé…

Plus sérieusement, l'attrait de l'odeur des vieux livres a été étudié en profondeur. Le papier, fabriqué à partir de bois, contient de la lignine, une substance chimique étroitement liée à la vanilline, le composé qui donne son parfum à la vanille. Avec le vieillissement des pages, les composés se décomposent, et ils libèrent cette odeur unique. Selon la Ligue internationale de la librairie ancienne, un gestionnaire de livres rares expérimenté peut même dater un volume par sa seule odeur. En outre, nous savons tous aussi qu'un parfum est fortement lié à nos souvenirs. Tout comme le parfum de la crème solaire, d'un plat ou de l'herbe fraîchement coupée peut soudainement évoquer des souvenirs d'étés d'enfance, pour les fanas de livres qui se trouvent parmi nous, l'odeur de vieux manuscrits rappelle des plaisirs comme la lecture d'un vieux classique, ou les heures passées dans une bibliothèque ou une librairie d'occasion.

Mais dans cette volonté de recréer ce parfum, y a aussi l'élément nostalgie. Le papier utilisé pour les livres d'aujourd'hui contient beaucoup moins de lignine que celui des anciens volumes. C'est pourquoi une réédition d'un roman d'Hemingway, par exemple, n'aura jamais l'odeur d'une première édition datant des années 40 ou 50, peu importe le temps qu'elle restera sur votre étagère. Un livre qui sent comme un livre est une relique de la façon dont nous avons passé du temps, toutes choses que ne pourront pas vous offrir une édition récente, sans parler d'un livre électronique. A moins que, d'ici quelques décennies, il soit possible de mettre en bouteille le parfum de vos « nuits seul sur le canapé avec l'ordinateur » ?

Lu en ligne sur : http://french.peopledaily.com.cn/VieSociale/n3/2016/0516/c31360-9057981.html
(le Quotidien du Peuple en ligne | 16.05.2016 08h26 - Rédacteurs :Guangqi CUI, Wei SHAN)

mardi 10 mai 2016

Identifier un ex libris.


Merci de l'aide que vous voudrez bien apporter à un lecteur du Bibliomane moderne. Réponses en commentaire pour la culture de tous.

Bonne journée,
Bertrand

lundi 2 mai 2016

Grand Palais (Salon du livre rare et de l'autographe), cuvée 2016, by Textor. Le De Sphera de Proclus, 1547, etc.


Une brève incursion au salon du livre rare et de l'autographe au Grand Palais à Paris, la semaine dernière, m’a permis de repérer un joli petit ouvrage en truie estampée contenant un certain nombre de traités d’astronomie grecque dans une édition baloise de 1547 ayant appartenu au fameux Joannes Sarrander. Il faut avoir du groin pour dénicher cette pépite au milieu des milliers d’ouvrages proposé aux chalands.


Fig 1 Proclus De Sphera, reliure de l'époque en peau de truie
estampée à froid

L’imprimeur Heinrich Petri a réuni en un volume plusieurs ouvrages grecs relatifs à l’astronomie, avec des notes et la vie des auteurs, le tout en 600 pages. On y trouve le livre de la Sphère de Proclus, célèbre philosophe néoplatonicien de Byzance (412-485), qui possédait des connaissances étendues en mathématiques et en astronomie. Son traité de la sphère expose toutes les divisions de la sphère céleste avec autant de clarté que dans nos meilleurs traités d'astronomie. Quitte à  passer la nuit debout autant contempler la voûte céleste avec cet ouvrage en mains. Bien qu'attribué à Proclus depuis le XVe siècle, ce traité ne serait pas de lui mais d’un obscur auteur byzantin, qui avait compilé des passages extraits de Geminus, selon Paul Tannery. Le texte est en grec avec une traduction latine en regard par Giorgio Valla.


Fig 2 Page de titre

On y trouve aussi le poème des Phénomènes et des Apparences d’Aratus de Solès, poète et astronome grec vivant vers 300 - 250 av. JC. Il mit en vers deux ouvrages d'Euxode de Cnide, Miroir et Phénomènes et en fit un seul poème qui emporta l'admiration des anciens. Ce poème serait le texte grec le plus ancien que la Grèce nous ait laissé.  'Toutes choses dépendent de Jupiter' nous dit Aratus au début de son poème auquel Saint Paul se référa à différentes reprises dans son discours aux Athéniens. Aratus a été traduit en latin par Ciceron Germanicus et Rufus Festus Aviénus. C'est Alde l'ancien qui publia Aratus pour la première fois à Venise en 1499.


Fig 3 L'Espérance

Entre ces deux classiques, maintes fois réédités au XVIème siècle (1), une œuvre confidentielle de Cléomède : du Monde ou théorie circulaire des corps sublimes, en deux livres.  Cléomède ne nous est pas autrement connu que par cet écrit qui est un exposé de cosmographie et de géographie astronomique situé dans un cadre philosophique destiné à des étudiants et par là-même simplifié. Cléomède, en reprenant des écrits plus anciens, nous donne ainsi des informations précieuses qui auraient été perdues autrement comme la connaissance des procédés utilisés par Eratosthène pour mesurer la circonférence de la terre.


Fig 4 La justice

Et pour finir Denys l’Africain (Denys le Périégète) nous propose sa Description des terres habitées, dont j’avais déjà la deuxième impression incunable de 1478.


Fig 5 La foi

Jean Sarrander, en 1551, a voulu couvrir son livre d’une reliure solide et durable qui pourrait faire de l’effet aussi bien sur ses voisins que dans le carré Vip du salon du SLAM, 450 ans plus tard. Il a choisi comme décor les vertus théologales et cardinales : Foi , Espérance, Charité et Justice. On remarquera tout particulièrement la Justice avec ses attributs, son glaive et sa forte poitrine, ou encore l’Espérance, bien accrochée à son ancre et cheveux aux vents. Par ailleurs il n’a pas hésité à rajouter des commentaires de son cru dans le texte, comme sur cette première page des Phénomènes : Hoc opus Arati est ecphrasis sphaera ! On n’aurait pas pu mieux dire…

Bonne Journée
Textor


Fig 6 La charité


(1) Pour le De Sphera Proclus, E.0. à Venise en 1498 pour la traduction latine de Valla, puis édition bilingue en grec et latin à Bâle en 1535 chez Johann 1er Herwagen, suivie d’une édition à Paris en 1543. Il faudra attendre la réédition de Petri en 1561 pour voir le traité agrémenté de cartes.


Fig 7 Commentaires de Sarrander

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